Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/223

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porter sa tête de fer[1] sur l’échafaud, sans honte ni peur, comme il le dit en y montant.

Cependant la France semblait gouvernée par elle-même ; car le prince et le ministre étaient séparés depuis longtemps : et, de ces deux malades, qui se haïssaient mutuellement, l’un n’avait jamais tenu les rênes de son État, l’autre n’y faisait plus sentir sa main ; on ne l’entendait plus nommer dans les actes publics, il ne paraissait plus dans le gouvernement, s’effaçait partout ; il dormait comme l’araignée au centre de ses filets.

S’il s’était passé quelques événements et quelques résolutions durant ces deux années, ce devait donc être dans les cœurs ; ce devait être quelques-uns de ces changements occultes, d’où naissent, dans les monarchies sans base, des bouleversements effroyables et de longues et sanglantes dissensions.

Pour en être éclaircis, portons nos yeux sur le vieux et noir bâtiment du Louvre inachevé, et prêtons l’oreille aux propos de ceux qui l’habitent et qui l’environnent.

On était au mois de décembre ; un hiver rigoureux avait attristé Paris, où la misère et l’inquiétude du peuple étaient extrêmes ; cependant sa curiosité l’aiguillonnait encore, et il était avide des spectacles que lui donnait la cour. Sa pauvreté lui était moins pesante lorsqu’il contemplait les agitations de la richesse ; ses larmes moins amères à la vue des combats de la puissance ; et le sang des grands, qui arrosait ses rues et semblait alors le seul digne d’être répandu, lui faisait bénir son obscurité. Déjà quelques scènes tumultueuses, quelques assassinats éclatants, avaient fait sentir l’affaiblissement du monarque, l’absence et la fin prochaine du ministre, et, comme une

  1. Ce nom lui fut donné pour sa valeur et un caractère trop ferme, qui fut son seul crime.