Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/230

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truction de l’un des deux partis, lorsque des cris, ou plutôt des hurlements affreux, vinrent mettre le comble au tumulte. L’abbé de Gondi, alors occupé à tirer un cavalier par son manteau pour le faire tomber, s’écria : — Voilà mes gens ! Fontrailles, vous allez en voir de belles ; voyez, voyez déjà comme cela court ! c’est charmant, vraiment !

Et il lâcha prise et monta sur une pierre pour considérer les manœuvres de ses troupes, croisant ses bras avec l’importance d’un général d’armée. Le jour commençait à poindre, et l’on vit que du bout de l’île Saint-Louis accourait en effet une foule d’hommes, de femmes et d’enfants de la lie du peuple, poussant au ciel et vers le Louvre d’étranges vociférations. Des filles portaient de longues épées, des enfants traînaient d’immenses hallebardes et des piques damasquinées du temps de la Ligue ; des vieilles en haillons tiraient après elles, avec des cordes, des charrettes pleines d’anciennes armes rouillées et rompues ; des ouvriers de tous les métiers, ivres pour la plupart, les suivaient avec des bâtons, des fourches, des lances, des pelles, des torches, des pieux, des crocs, des leviers, des sabres et des broches aiguës ; ils chantaient et hurlaient tour à tour, contrefaisant avec des rires atroces les miaulements du chat, et portant, comme un drapeau, un de ces animaux pendu au bout d’une perche et enveloppé dans un lambeau rouge, figurant ainsi le Cardinal, dont le goût pour les chats était connu généralement. Des crieurs publics couraient, tout rouges et haletants, semer sur les ruisseaux et les pavés, coller sur les parapets, les bornes, les murs des maisons et du palais même, de longues histoires satiriques en petits vers, faites sur les personnages du temps ; des garçons bouchers et des mariniers portant de larges coutelas battaient la charge sur des chaudrons, et traînaient dans la boue