Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/241

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— Nous allons mourir ! cria la duchesse de Chevreuse, toujours à genoux. Ah ! mon Dieu ! que ne suis-je restée en Angleterre ! Oui, confessons-nous ; je me confesse hautement : j’ai aimé,… j’ai été aimée de…

— C’est bon, c’est bon, dit la Reine, je ne me charge pas d’entendre jusqu’à la fin ; ce ne serait peut-être pas le moindre de mes dangers, dont vous ne vous occupez guère.

Le sang-froid d’Anne d’Autriche et cette seconde réponse sévère rendirent pourtant un peu de calme à cette belle personne, qui se releva confuse, et s’aperçut du désordre de sa toilette, qu’elle alla réparer le mieux qu’elle put dans un cabinet voisin.

— Doña Stephania, dit la Reine à une de ses femmes, la seule Espagnole qu’elle eût conservée auprès d’elle, allez chercher le capitaine des gardes : il est temps que je voie des hommes, enfin, et que j’entende quelque chose de raisonnable.

Elle dit ceci en espagnol, et le mystère de cet ordre, dans une langue que ces dames ne comprenaient pas, fit rentrer le bon sens dans la chambre.

La camériste disait son chapelet ; mais elle se leva du coin de l’alcôve où elle s’était réfugiée, et sortit en courant pour obéir à sa maîtresse.

Cependant les signes de la révolte et les symptômes de la terreur devenaient plus distincts au-dessous et dans l’intérieur. On entendait dans la grande cour du Louvre le piétinement des chevaux de la garde, les commandements des chefs, le roulement des carrosses de la Reine, qu’on attelait pour fuir s’il le fallait, le bruit des chaînes de fer que l’on traînait sur le pavé pour former les barricades en cas d’attaque, les pas précipités, le choc des armes, des troupes d’hommes qui couraient dans les corridors, les cris sourds et confus du peuple qui s’élevaient