Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/244

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Le peuple, croyant la reconnaître, redoubla de cris en ce moment, et l’on entendit : À bas le Cardinal ! Vive M. le Grand !

Marie tressaillit.

— Qu’avez-vous ! lui dit la Reine en l’observant.

Mais, comme elle ne répondait pas et tremblait de tout son corps, cette bonne et douce princesse ne parut pas s’en apercevoir, et, prêtant la plus grande attention aux cris du peuple et à ses mouvements, elle exagéra même une inquiétude qu’elle n’avait plus depuis le premier nom arrivé à son oreille. Une heure après, lorsqu’on vint lui dire que la foule n’attendait qu’un geste de sa main pour se retirer, elle le donna gracieusement et avec un air de satisfaction ; mais cette joie était loin d’être complète, car le fond de son cœur était troublé par bien des choses et surtout par le pressentiment de la régence. Plus elle se penchait hors de la fenêtre pour se montrer, plus elle voyait les scènes révoltantes que le jour naissant n’éclairait que trop : l’effroi rentrait dans son cœur à mesure qu’il lui devenait plus nécessaire de paraître calme et confiante, et son âme s’attristait de l’enjouement de ses paroles et de son visage. Exposée à tous ces regards, elle se sentait femme, et frémissait en voyant ce peuple qu’elle aurait peut-être bientôt à gouverner, et qui savait déjà demander la mort de quelqu’un et appeler ses Reines.

Elle salua donc.

Cent cinquante ans après, ce salut a été répété par une autre princesse, comme elle née du sang d’Autriche, et Reine de France. La monarchie, sans base, telle que Richelieu l’avait faite, naquit et mourut entre ces deux comparutions.

Enfin, la princesse fit refermer ses fenêtres et se hâta de congédier sa suite timide. Les épais rideaux retom-