Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/245

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bèrent sur les vitres bariolées, et la chambre ne fut plus éclairée par un jour qui lui était odieux ; de gros flambeaux de cire blanche brûlaient dans les candélabres en forme de bras d’or qui sortaient des tapisseries encadrées et fleurdelisées dont le mur était garni. Elle voulut rester seule avec Marie de Mantoue, et, rentrée avec elle dans l’enceinte que formait la balustrade royale, elle tomba assise sur son lit, fatiguée de son courage et de ses sourires, et se mit à fondre en larmes, le front appuyé contre son oreiller. Marie, à genoux sur le marchepied de velours, tenait l’une de ses mains dans les siennes, et, sans oser parler la première, y appuyait sa tête en tremblant ; car, jusque-là, jamais on n’avait vu une larme dans les yeux de la Reine.

Elles restèrent ainsi pendant quelques minutes. Après quoi la princesse, se soulevant péniblement, lui parla ainsi :

— Ne t’afflige pas, mon enfant, laisse-moi pleurer ; cela fait tant de bien quand on règne ! Si tu pries Dieu pour moi, demande-lui qu’il me donne la force de ne pas haïr l’ennemi qui me poursuit partout, et qui perdra la famille royale de France et la monarchie par son ambition démesurée ; je le reconnais encore dans ce qui vient de se passer, je le vois dans ces tumultueuses révoltes.

— Eh quoi ! madame, n’est-il pas à Narbonne ? car c’est le Cardinal dont vous parlez, sans doute ? et n’avez-vous pas entendu que ces cris étaient pour vous et contre lui ?

— Oui, mon amie, il est à trois cents lieues de nous, mais son génie fatal veille à cette porte. Si ces cris ont été jetés, c’est qu’il les a permis ; si ces hommes se sont assemblés, c’est qu’ils n’ont pas atteint l’heure qu’il a marquée pour les perdre. Crois-moi, je le connais, et j’ai payé cher la science de cette âme perverse ; il m’en a