Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/251

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un jour au château que le Cardinal appelait M. de Cinq-Mars à l’armée ; il me sembla que l’on m’enlevait encore une fois l’un des miens, et pourtant nous étions étrangers. Mais M. de Bassompierre ne cessait de parler de batailles et de mort ; je me retirais chaque soir toute troublée, et je pleurais dans la nuit. Je crus d’abord que mes larmes coulaient encore pour le passé ; mais je m’aperçus que c’était pour l’avenir, et je sentis bien que ce ne pouvait plus être les mêmes pleurs, puisque je désirais les cacher.

Quelque temps se passa dans l’attente de ce départ ; je le voyais tous les jours et je le plaignais de partir, parce qu’il me disait à chaque instant qu’il aurait voulu vivre éternellement, comme dans ce temps-là, dans son pays et avec nous. Il fut ainsi sans ambition jusqu’au jour de son départ, parce qu’il ne savait pas s’il était… je n’ose dire à Votre Majesté…

Marie, rougissant, baissait des yeux humides en souriant…

— Allons ! dit la Reine, s’il était aimé, n’est-ce pas ?

— Et le soir, madame, il partit ambitieux.

— On s’en est aperçu en effet. Mais enfin il partit, dit Anne d’Autriche soulagée d’un peu d’inquiétude ; mais il est revenu depuis deux ans et vous l’avez vu ?…

— Rarement, madame, dit la jeune duchesse avec un peu de fierté, et toujours dans une église et en présence d’un prêtre, devant qui j’ai promis de n’être qu’à M. de Cinq-Mars.

— Est-ce bien là un mariage ? a-t-on bien osé le faire ? je m’en informerai. Mais, bon Dieu ! que de fautes, que de fautes, mon enfant, dans le peu de mots que j’entends ! Laissez-moi y rêver.

Et, se parlant tout haut à elle-même, la Reine poursuivit, les yeux et la tête baissés, dans l’attitude de la réflexion :