Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/253

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— Ah ! mon enfant, ne parlons pas d’affaires d’État, tu n’es pas bien savante encore ; laisse-moi dormir un peu, si je le puis, avant l’heure de ma toilette ; j’ai les yeux bien brûlants, et toi aussi peut-être.

En disant ces mots, l’aimable Reine pencha sa tête sur son oreiller, qui couvrait la cassette, et bientôt Marie la vit s’endormir à force de fatigue. Elle se leva alors, et, s’asseyant sur un grand fauteuil de tapisserie à bras et de forme carrée, joignit les mains sur ses genoux et se mit à rêver à sa situation douloureuse : consolée par l’aspect de sa douce protectrice, elle reportait souvent ses yeux sur elle pour surveiller son sommeil, et lui envoyait, en secret, toutes les bénédictions que l’amour prodigue toujours à ceux qui le protègent ; baisant quelquefois les boucles de ses cheveux blonds, comme si, par ce baiser, elle eût dû lui glisser dans l’âme toutes les pensées favorables à sa pensée continuelle.

Le sommeil de la Reine se prolongeait, et Marie pensait et pleurait. Cependant elle se souvint qu’à dix heures elle devait paraître à la toilette royale devant toute la cour ; elle voulut cesser de réfléchir pour arrêter ses larmes, et prit un gros volume in-folio placé sur une table marquetée d’émail et de médaillons : c’était l’Astrée de M. d’Urfé, ouvrage de belle galanterie, adoré des belles prudes de la cour. L’esprit naïf, mais juste, de Marie ne put entrer dans ces amours pastorales ; elle était trop simple pour comprendre les bergers du Lignon, trop spirituelle pour se plaire à leur discours, et trop passionnée pour sentir leur tendresse. Cependant la grande vogue de ce roman lui en imposait tellement qu’elle voulut se forcer à y prendre intérêt, et, s’accusant intérieurement chaque fois qu’elle éprouvait l’ennui qu’exhalaient les pages de son livre, elle le parcourut avec impatience pour trouver ce qui devait lui plaire et la transporter : une gravure