Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/254

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l’arrêta ; elle représentait la bergère Astrée avec des talons hauts, un corset et un immense vertugadin, s’élevant sur la pointe du pied pour regarder passer dans le fleuve le tendre Céladon, qui se noyait du désespoir d’avoir été reçu un peu froidement dans la matinée. Sans se rendre compte des motifs de son dégoût et des faussetés accumulées de ce tableau, elle chercha, en faisant rouler les pages sous son pouce, un mot qui fixât son attention ; elle vit celui de druide. — Ah ! voilà un grand caractère, se dit-elle ; je vais voir sans doute un de ces mystérieux sacrificateurs dont la Bretagne, m’a-t-on dit, conserve encore les pierres levées ; mais je le verrai sacrifiant des hommes : ce sera un spectacle d’horreur ; cependant lisons.

En se disant cela, Marie lut avec répugnance, en fronçant le sourcil et presque en tremblant ce qui suit :

«[1] Le druide Adamas appela délicatement les bergers Pimandre, Ligdamont et Clidamant arrivés tout nouvellement de Calais : Cette aventure ne peut finir, leur dit-il, que par extrémité d’amour. L’esprit, lorsqu’il aime, se transforme en l’objet aimé ; c’est pour figurer ceci que mes enchantements agréables vous font voir, dans cette fontaine, la nymphe Sylvie, que vous aimez tous trois. Le grand prêtre Amasis va venir de Montbrison, et vous expliquera la délicatesse de cette idée. Allez donc, gentils bergers ; si vos désirs sont bien réglés, ils ne vous causeront point de tourments ; et, s’ils ne le sont pas, vous en serez punis par des évanouissements semblables à ceux de Céladon et de la bergère Galatée, que le volage Hercule abandonna dans les montagnes d’Auvergne, et qui donna son nom au tendre pays des Gaules ; ou bien encore vous serez lapidés par les bergères du Lignon,

  1. Lisez l’Astrée (s’il est possible).