Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/258

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porte, un nom qu’il avait distingué parmi tous ceux du barreau, et un homme que ses relations dans la magistrature lui avaient fait connaître particulièrement.

— Eh ! par quel hasard, à cinq heures du matin, vois-je entrer M. Fournier ? s’écria-t-il ; y a-t-il quelques malheureux à défendre, quelques familles à nourrir des fruits de son talent ? a-t-il quelque erreur à détruire parmi nous, quelque vertu à réveiller dans nos cœurs ? car ce sont là de ses œuvres accoutumées. Vous venez peut-être m’apprendre quelque nouvelle humiliation de notre parlement ; hélas ! les chambres secrètes de l’Arsenal sont plus puissantes que l’antique magistrature contemporaine de Clovis ; le parlement s’est mis à genoux, tout est perdu, à moins qu’il ne se remplisse tout à coup d’hommes semblables à vous.

— Monsieur, je ne mérite pas vos éloges, dit l’avocat en entrant accompagné d’un homme grave et âgé, enveloppé comme lui d’un grand manteau ; je mérite au contraire tout votre blâme, et j’en suis presque au repentir, ainsi que M. le comte du Lude, que voici. Nous venons vous demander asile pour la journée.

— Asile ! et contre qui ? dit de Thou en le faisant asseoir.

— Contre le plus bas peuple de Paris, qui nous veut pour chefs, et que nous fuyons ; il est odieux : la vue, l’odeur, l’ouïe et le contact surtout sont par trop blessés, dit M. du Lude avec une gravité comique : c’est trop fort.

— Ah ! ah ! vous dites donc que c’est trop fort ? dit de Thou très-étonné, mais ne voulant pas en faire semblant.

— Oui, reprit l’avocat ; vraiment, entre nous, M. le Grand va trop loin.

— Oui, il pousse trop vite les choses ; il fera avorter nos projets, ajouta son compagnon.