Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/259

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— Ah ! ah ! vous dites donc qu’il va trop loin ? répondit, en se frottant le menton, de Thou toujours plus surpris.

Il y avait trois mois que son ami Cinq-Mars ne l’était venu voir, et lui, sans s’inquiéter beaucoup, le sachant à Saint-Germain, fort en faveur, et ne quittant pas le Roi, était très-reculé pour les nouvelles de la cour. Livré à ses graves études, il ne savait jamais les événements publics que lorsqu’on l’y obligeait à force de bruit ; il n’était au courant de la vie qu’à la dernière extrémité, et donnait souvent un spectacle assez divertissant à ses amis intimes par ses étonnements naïfs, d’autant plus que, par un petit amour-propre mondain, il voulait avoir l’air de s’entendre aux choses publiques, et tentait de cacher la surprise qu’il éprouvait à chaque nouvelle. Cette fois il était encore dans ce cas, et à cet amour-propre se joignait celui de l’amitié ; il ne voulait pas laisser croire que Cinq-Mars y eût manqué à son égard, et, pour l’honneur même de son ami, voulait paraître instruit de ses projets.

— Vous savez bien où nous en sommes ? continua l’avocat.

— Oui, sans doute ; poursuivez.

— Lié comme vous l’êtes avec lui, vous n’ignorez pas que tout s’organise depuis un an…

— Certainement… tout s’organise… mais allez toujours…

— Vous conviendrez avec nous, monsieur, que M. le Grand est dans son tort…

— Ah ! ah ! c’est selon ; mais expliquez-vous, je verrai…

— Eh bien, vous savez de quoi on était convenu à la dernière conférence dont il vous a rendu compte ?

— Ah ! c’est-à-dire… pardonnez-moi, je vois bien à peu près ; mais remettez-moi sur la voie…