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CHAPITRE XIX

La partie de chasse


On a bien des grâces à rendre à son étoile quand on peut quitter les hommes sans être obligé de leur faire du mal et de se déclarer leur ennemi.
Ch. Nodier, Jean Sbogar.


Cependant la maladie du Roi jetait la France dans un trouble que ressentent toujours les États mal affermis aux approches de la mort des princes. Quoique Richelieu fût le centre de la monarchie, il ne régnait pourtant qu’au nom de Louis XIII, et comme enveloppé de l’éclat de ce nom qu’il avait agrandi. Tout absolu qu’il était sur son maître, il le craignait néanmoins ; et cette crainte rassurait la nation contre ses désirs ambitieux, dont le Roi même était l’immuable barrière. Mais, ce prince mort, que ferait l’impérieux ministre ? où s’arrêterait cet homme qui avait tant osé ? Accoutumé à manier le sceptre, qui l’empêcherait de le porter toujours, et d’inscrire son nom seul au bas des lois que seul il avait dictées ? Ces terreurs agitaient tous les esprits. Le peuple cherchait en vain sur toute la surface du royaume ces colosses de la Noblesse aux pieds desquels il avait coutume de se mettre à l’abri dans les orages politiques, il ne voyait plus que leurs tombeaux récents ; les Parlements étaient muets, et l’on sentait que rien ne s’opposerait au monstrueux accroissement de ce pouvoir usurpateur. Personne n’était déçu complètement par les souffrances affectées du ministre : nul n’était touché de cette hypocrite agonie, qui avait trop souvent trompé l’espoir public, et l’éloignement