Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/290

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et chantait sur lui-même cette messe de la mort qui, dit-on, la fit descendre autrefois sur la tête de l’empereur espagnol. Mais, au milieu de ces chants et de ces méditations mêmes, son faible esprit était poursuivi et distrait par des images contraires. Jamais le monde et la vie ne lui avaient paru plus beaux que dans la solitude et près de la tombe. Entre ses yeux et les pages qu’il s’efforçait de lire, passaient de brillants cortèges, des armées victorieuses, des peuples transportés d’amour ; il se voyait puissant, combattant, triomphateur, adoré ; et, si un rayon du soleil, échappé des vitraux, venait à tomber sur lui, se levant tout à coup du pied de l’autel, il se sentait emporté par une soif du jour ou du grand air qui l’arrachait de ces lieux sombres et étouffés ; mais, revenu à la vie, il y retrouvait le dégoût et l’ennui, car les premiers hommes qu’il rencontrait lui rappelaient sa puissance par leurs respects. C’était alors qu’il croyait à l’amitié et l’appelait à ses côtés ; mais à peine était-il sûr de sa possession véritable, qu’un grand scrupule s’emparait tout à coup de son âme : c’était celui d’un attachement trop fort pour la créature qui le détournait de l’adoration divine, ou, plus souvent encore, le reproche secret de s’éloigner trop des affaires d’État ; l’objet de son affection momentanée lui semblait alors un être despotique, dont la puissance l’arrachait à ses devoirs ; il se créait une chaîne imaginaire et se plaignait intérieurement d’être opprimé ; mais, pour le malheur de ses favoris, il n’avait pas la force de manifester contre eux ses ressentiments par une colère qui les eût avertis ; et, continuant à les caresser, il attisait, par cette contrainte, le feu secret de son cœur, et le poussait jusqu’à la haine ; il y avait des moments où il était capable de tout contre eux.

Cinq-Mars connaissait parfaitement la faiblesse de cet esprit, qui ne pouvait se tenir ferme dans aucune ligne,