Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/296

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pardonner. Quoi ! monsieur, j’apprends qu’au lieu de vous livrer aux exercices de piété auxquels je vous ai habitué, quand je vous crois au Salut ou à l’Angelus, vous partez de Saint-Germain, et vous allez passer une partie de la nuit… chez qui ? oserai-je le dire sans péché ? chez une femme perdue de réputation, qui ne peut avoir avec vous que des relations pernicieuses au salut de votre âme, et qui reçoit chez elle des esprits forts ; Marion Delorme, enfin ! Qu’avez-vous à répondre ? Parlez.

Laissant sa main dans celle du Roi, mais toujours appuyé contre la colonne, Cinq-Mars répondit :

— Est-on donc si coupable de quitter des occupations graves pour d’autres plus graves encore ? Si je vais chez Marion Delorme, c’est pour entendre la conversation des savants qui s’y rassemblent. Rien n’est plus innocent que cette assemblée ; on y fait des lectures qui se prolongent quelquefois dans la nuit, il est vrai, mais qui ne peuvent qu’élever l’âme, bien loin de la corrompre. D’ailleurs vous ne m’avez jamais ordonné de vous rendre compte de tout ; il y a longtemps que je vous l’aurais dit si vous l’aviez voulu.

— Ah ! Cinq-Mars, Cinq-Mars ! où est la confiance ? N’en sentez-vous pas le besoin ? C’est la première condition d’une amitié parfaite, comme doit être la nôtre, comme celle qu’il faut à mon cœur.

La voix de Louis était plus affectueuse, et le favori, le regardant par-dessus l’épaule, prit un air moins irrité, mais seulement ennuyé et résigné à l’écouter.

— Que de fois vous m’avez trompé ! poursuivit le Roi ; puis-je me fier à vous ? ne sont-ce pas des galants et des damerets que vous voyez chez cette femme ? N’y a-t-il pas d’autres courtisanes !

— Eh ! mon Dieu, non, Sire ; j’y vais souvent avec un