Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/308

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une conjuration aussi légèrement. Les grandes entreprises veulent du mystère ; celle-ci serait admirable si l’on s’en donnait la peine. Notre partie est plus belle qu’aucune que j’aie lue dans l’histoire ; il y aurait là de quoi renverser trois royaumes si l’on voulait, et les étourderies gâteront tout. C’est vraiment dommage ; j’en aurais un regret mortel. Par goût, je suis porté à ces sortes d’affaires, et je suis attaché de cœur à celle-ci, qui a de la grandeur ; vraiment, on ne peut pas le nier. N’est-ce pas, d’Aubijoux ? n’est-il pas vrai, Montmort ?

Pendant ces discours, plusieurs grands et pesants carrosses, à six et quatre chevaux, suivaient la même allée à deux cents pas de ces messieurs ; les rideaux étaient ouverts du côté gauche pour voir le Roi. Dans le premier était la Reine ; elle était seule dans le fond, vêtue de noir et voilée. Sur le devant était la maréchale d’Effiat, et aux pieds de la Reine était placée la princesse Marie. Assise de côté, sur un tabouret, sa robe et ses pieds sortaient de la voiture et étaient appuyés sur un marchepied doré, car il n’y avait point de portières, comme nous l’avons déjà dit ; elle cherchait à voir aussi, à travers les arbres, les gestes du Roi, et se penchait souvent, importunée du passage continuel des chevaux du prince Palatin et de sa suite.

Ce prince du Nord était envoyé par le roi de Pologne pour négocier de grandes affaires en apparence, mais, au fond, pour préparer la duchesse de Mantoue à épouser le vieux roi Uladislas VI, et il déployait à la cour de France tout le luxe de la sienne, appelée alors barbare et scythe à Paris, et justifiait ces noms par des costumes étranges et orientaux. Le Palatin de Posnanie était fort beau, et portait, ainsi que les gens de sa suite, une barbe longue, épaisse, la tête rasée à la turque, et couverte d’un bonnet fourré, une veste courte et enrichie de dia-