Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/324

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teurs, les folâtres abandons de leur jeunesse et l’amour de leurs propos si douloureux au prince des démons.

De douces larmes bien involontaires coulaient des yeux de la belle Marion de Lorme : la nature avait saisi son cœur malgré son esprit ; la poésie la remplit de pensées graves et religieuses dont l’enivrement des plaisirs l’avait toujours détournée, l’idée de l’amour dans la vertu lui apparut pour la première fois avec toute sa beauté, et elle demeura comme frappée d’une baguette magique et changée en une pâle et belle statue.

Corneille, son jeune ami et l’officier étaient pleins d’une silencieuse admiration qu’ils n’osaient exprimer, car des voix assez élevées couvrirent celle du poëte surpris.

— On n’y tient pas ! s’écriait Desbarreaux : c’est d’un fade à faire mal au cœur !

— Et quelle absence de gracieux, de galant et de belle flamme ! disait froidement Scudéry.

— Ce n’est pas là notre immortel d’Urfé ! disait Baro le continuateur.

— Ou est l’Ariane ? où est l’Astrée ? s’écriait en gémissant Godeau l’annotateur.

Toute l’assemblée se soulevait ainsi avec d’obligeantes remarques, mais faites de manière à n’être entendues du poëte que comme un murmure dont le sens était incertain pour lui ; il comprit pourtant qu’il ne produisait pas d’enthousiasme, et se recueillit avant de toucher une autre corde de sa lyre.

En ce moment on annonça le conseiller de Thou, qui, saluant modestement, se glissa en silence derrière l’auteur, près de Corneille, de Poquelin et du jeune officier. Milton reprit ses chants.

Il raconta l’arrivée d’un hôte céleste dans les jardins d’Éden comme une seconde aurore au milieu du jour ;