Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/345

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ses espérances. Malgré son amour, toutes les fois qu’il la voyait, il ne pouvait se garantir de quelque effroi d’avoir tant entrepris pour une enfant dont la passion n’était qu’un faible reflet de la sienne, et qui n’avait peut-être pas apprécié tous les sacrifices qu’il avait faits, son caractère ployé pour elle aux complaisances d’un courtisan, condamné aux intrigues et aux souffrances de l’ambition, livré aux combinaisons profondes, aux criminelles méditations, aux sombres et violents travaux d’un conspirateur. Jusque-là, dans leurs secrètes et chastes entrevues, elle avait toujours reçu chaque nouvelle de ses progrès dans sa carrière avec les transports de plaisir d’un enfant, mais sans apprécier la fatigue de chacun de ces pas si pesants que l’on fait vers les honneurs, et lui demandant toujours avec naïveté quand il serait Connétable enfin, et quand ils se marieraient, comme si elle eût demandé quand il viendrait au Carrousel, et si le temps était serein. Jusque-là, il avait souri de ces questions et de cette ignorance, pardonnable à dix-huit ans dans une jeune fille née sur un trône et accoutumée à des grandeurs pour ainsi dire naturelles, et trouvées autour d’elle en venant à la vie ; mais à cette heure, il fit de plus sérieuses réflexions sur ce caractère, et lorsque, sortant presque de l’assemblée imposante des conspirateurs, représentants de tous les ordres du royaume, son oreille, où résonnaient encore les voix mâles qui avaient juré d’entreprendre une vaste guerre, fut frappée des premières paroles de celle pour qui elle était commencée, il craignit, pour la première fois, que cette sorte d’innocence ne fût de la légèreté et ne s’étendît jusqu’au cœur : il résolut de l’approfondir.

— Dieu ! que j’ai peur, Henry ! dit-elle en entrant dans le confessionnal ; vous me faites venir sans gardes, sans carrosses ; je tremble toujours d’être vue de mes gens en