Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nissant, il agitait les crins de son cou et semblait saluer en mettant sa tête entre ses jambes ; toute sa suite répéta cette même évolution en passant. La princesse Marie s’était d’abord jetée en arrière, de peur que l’on ne distinguât les larmes de ses yeux ; mais ce spectacle brillant et flatteur la fit revenir sur le balcon, et elle ne put s’empêcher de s’écrier :

— Que le Palatin monte avec grâce ce joli cheval ! Il semble n’y pas songer.

La Reine sourit :

— Il songe à celle qui serait sa reine demain si elle voulait faire un signe de tête et laisser tomber sur ce trône un regard de ses grands yeux noirs en amande, au lieu d’accueillir toujours ces pauvres étrangers avec ce petit air boudeur, et en faisant la moue comme à présent.

Anne d’Autriche donnait en parlant un petit coup d’éventail sur les lèvres de Marie, qui ne put s’empêcher de sourire aussi ; mais à l’instant elle baissa la tête en se le reprochant, et se recueillit pour reprendre sa tristesse qui commençait à lui échapper. Elle eut même besoin de contempler encore les gros nuages qui planaient sur le château.

— Pauvre enfant, continua la Reine, tu fais tout ce que tu peux pour être bien fidèle et te bien maintenir dans la mélancolie de ton roman ; tu te fais mal en ne dormant plus pour pleurer, et en cessant de manger à table ; tu passes la nuit à rêver ou à écrire ; mais, je t’en avertis, tu ne réussiras à rien, si ce n’est à maigrir, à être moins belle et à n’être pas reine. Ton Cinq-Mars est un petit ambitieux qui s’est perdu.

Voyant Marie cacher sa tête dans son mouchoir pour pleurer encore, Anne d’Autriche rentra un moment dans sa chambre en la laissant au balcon, et feignit de s’occuper à chercher des bijoux dans sa toilette ; elle revint