Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/371

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bientôt lentement et gravement se remettre à la fenêtre ; Marie était plus calme, et regardait tristement la campagne, les collines de l’horizon, et l’orage qui s’étendait peu à peu.

La Reine reprit avec un ton plus grave :

— Dieu a eu plus de bonté pour vous que vos imprudences ne le méritaient peut-être, Marie ; il vous a sauvée d’un grand péril ; vous aviez voulu faire de grands sacrifices, mais heureusement ils ne sont pas accomplis comme vous l’aviez cru. L’innocence vous a sauvée de l’amour ; vous êtes comme une personne qui, croyant se donner un poison mortel, n’aurait pris qu’une eau pure et sans danger.

— Hélas ! Madame, que voulez-vous me dire ? ne suis-je pas assez malheureuse ?

— Ne m’interrompez pas, dit la Reine ; vous allez voir avec d’autres yeux votre position présente. Je ne veux point vous accuser d’ingratitude envers le Cardinal ; j’ai trop de raisons de ne pas l’aimer ! j’ai moi-même vu naître la conjuration. Cependant vous pourriez, ma chère, vous rappeler qu’il fut le seul en France à vouloir, contre l’avis de la Reine mère et de la cour, la guerre du duché de Mantoue, qu’il arracha à l’Empire et à l’Espagne et rendit au duc de Nevers votre père ; ici, dans ce château même de Saint-Germain, fut signé le traité qui renversait le duc de Guastalla[1]. Vous étiez bien jeune alors… On a dû vous l’apprendre pourtant. Voici toutefois que, par amour uniquement (je veux le croire comme vous), un jeune homme de vingt-deux ans est prêt à le faire assassiner…

— Oh ! madame, il en est incapable ! Je vous jure qu’il l’a refusé…

  1. Le 19 mai 1632.