Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des Chevau-légers et des Gens d’armes sonnèrent presque en même temps le boute-selle et à cheval. Tous les factionnaires crièrent aux armes, et on vit les sergents de bataille, portant des flambeaux, aller de tente en tente une longue pique à la main, pour réveiller les soldats, les ranger en ligne et les compter. De longs pelotons marchaient dans un sombre silence, circulaient dans les rues du camp et venaient prendre leur place de bataille ; on entendait le choc des bottes pesantes et le bruit du trot des escadrons, annonçant que la cavalerie faisait les mêmes dispositions. Après une demi-heure de mouvement, les bruits cessèrent, les flambeaux s’éteignirent et tout rentra dans le calme, seulement l’armée était debout.

Des flambeaux intérieurs faisaient briller comme une étoile l’une des dernières tentes du camp ; on distinguait, en approchant, cette petite pyramide blanche et transparente ; sur sa toile se dessinaient deux ombres qui allaient et venaient. Dehors plusieurs hommes à cheval attendaient ; dedans étaient de Thou et Cinq-Mars.

À voir ainsi levé et armé à cette heure le pieux et sage de Thou, on l’aurait pris pour un des chefs de la révolte. Mais en examinant de plus près sa contenance sévère et ses regards mornes, on aurait compris bientôt qu’il la blâmait et s’y laissait conduire et compromettre par une résolution extraordinaire qui l’aidait à surmonter l’horreur qu’il avait de l’entreprise en elle-même. Depuis le jour où Henry d’Effiat lui avait ouvert son cœur et confié tout son secret, il avait vu clairement que toute remontrance était inutile auprès d’un jeune homme aussi fortement résolu. Il avait même compris plus que M. de Cinq-Mars ne lui avait dit, et il avait vu dans l’union secrète de son ami avec la princesse Marie un de ces liens d’amour dont les fautes mystérieuses et fréquentes,