Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/38

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qu’elle avait quelque raison de croire dévoué au premier ministre ; mais avec un homme de ce caractère, de tels avertissements étaient inutiles ; il eut l’air de n’y point faire attention ; et, au contraire, écrasant ce gentilhomme de ses regards hardis et du son de sa voix, il affecta de se tourner vers lui et de lui adresser tout son discours. Pour celui-ci, il prit un air d’indifférence et de politesse consentante qu’il ne quitta pas jusqu’au moment où, les deux battants étant ouverts, on annonça mademoiselle la duchesse de Mantoue.

Les propos que nous venons de transcrire longuement furent pourtant assez rapides, et le dîner n’était pas à la moitié quand l’arrivée de Marie de Gonzague fit lever tout le monde. Elle était petite, mais fort bien faite, et quoique ses yeux et ses cheveux fussent très-noirs, sa fraîcheur était éblouissante comme la beauté de sa peau. La maréchale fit le geste de se lever pour son rang, et l’embrassa sur le front pour sa bonté et son bel âge.

— Nous vous avons attendue longtemps aujourd’hui, chère Marie, lui dit-elle en la plaçant près d’elle ; vous me restez heureusement pour remplacer un de mes enfants qui part.

La jeune duchesse rougit, et baissa la tête et les yeux pour qu’on ne vît pas leur rougeur, et dit d’une voix timide : — Madame, il le faut bien, puisque vous remplacez ma mère auprès de moi. Et un regard fit pâlir Cinq-Mars à l’autre bout de la table.

Cette arrivée changea la conversation ; elle cessa d’être générale, et chacun parla bas à son voisin. Le maréchal seul continuait à dire quelques mots de la magnificence de l’ancienne cour, et de ses guerres en Turquie, et des tournois, et de l’avarice de la cour nouvelle ; mais, à son grand regret, personne ne relevait ses paroles, et on allait