Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/382

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l’étranger, et peut-être même ne combattrons-nous pas ; Dieu changera le cœur du roi.

— Voici l’heure, voici l’heure ! dit Cinq-Mars les yeux attachés sur la montre avec une sorte de rage joyeuse : encore quatre minutes, et les Cardinalistes du camp seront écrasés ; nous marcherons sur Narbonne, il est là… Donnez ce pistolet.

À ces mots, il ouvrit brusquement sa tente, et prit la mèche du pistolet.

— Courrier de Paris ! courrier de la cour ! cria une voix au dehors.

Et un homme couvert de sueur, haletant de fatigue, se jeta en bas de son cheval, entra, et remit une petite lettre à Cinq-Mars.

— De la Reine, Monseigneur, dit-il.

Cinq-Mars pâlit, et lut :


« Monsieur le marquis de Cinq-Mars,

« Je vous fais cette lettre pour vous conjurer et prier de rendre à ses devoirs notre bien-aimée fille adoptive et amie, la princesse Marie de Gonzague, que votre affection détourne seule du trône de Pologne à elle offert. J’ai sondé son âme ; elle est bien jeune encore, et j’ai lieu de croire qu’elle accepterait la couronne avec moins d’efforts et de douleur que vous ne le pensez peut-être.

« C’est pour elle que vous avez entrepris une guerre qui va mettre à feu et à sang mon beau et cher pays de France ; je vous conjure et supplie d’agir en gentilhomme, et de délier noblement la duchesse de Mantoue des promesses qu’elle aura pu vous faire. Rendez ainsi le repos à son âme et la paix à notre cher pays.

« La reine, qui se jette à vos pieds, s’il le faut.

« Anne. »