Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais, comme ce sacrifice fut fait pour vous, je n’en eus et n’en aurai jamais aucun scrupule.

— Vous, à la bonne heure ; mais moi, dit le prince avec amertume.

— Eh ! Sire, s’écria le Cardinal, le Fils de Dieu[1] lui-même vous en donna l’exemple ; c’est sur le modèle de toutes les perfections que nous réglâmes nos avis ; et si les monuments dus aux précieux restes de votre mère ne sont pas encore élevés, Dieu m’est témoin que ce fut dans la crainte d’affliger votre cœur et de vous rappeler sa mort, que nous en retardâmes les travaux. Mais béni soit ce jour où il m’est permis de vous en parler ! je dirai moi-même la première messe à Saint-Denis, quand nous l’y verrons déposée, si la Providence m’en laisse la force.

Ici le Roi prit un visage un peu plus affable, mais toujours froid, et le Cardinal, jugeant qu’il n’irait pas plus loin pour ce soir dans la persuasion, se résolut tout à coup à faire la plus puissante des diversions, et à attaquer l’ennemi en face. Continuant donc à regarder fixement le Roi, il dit froidement :

— Est-ce donc pour cela que vous avez permis ma mort ?

— Moi ! dit le Roi : on vous a trompé ; j’ai bien entendu parler de conjuration, et je voulais vous en dire

  1. En 1639, le Roi consulta son conseil sur la supplique de sa mère exilée pour rentrer en France ; Richelieu répondit :
    « Qui peut douter qu’il ne soit permis à un prince de se séparer d’une mère, pour des considérations importantes ?… Le Fils de Dieu n’a point fait difficulté de se séparer un temps de sa mère, et de la laisser en peine quelques jours. La réponse qu’il fit à sa mère, lorsqu’elle s’en plaignoit, apprend aux Roys que ceux à qui Dieu a commis le soin du bien général d’un royaume doivent toujours le préférer à toutes les obligations particulières. » (Relation de M. de Fontrailles.)