Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/399

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et peut-être versait-il des larmes ; mais l’inflexible ministre le suivait des yeux comme on regarde sa proie, et, sans pitié, sans lui accorder un moment pour respirer, profita au contraire de ce trouble pour parler plus longtemps.

— Est-ce ainsi, disait-il avec une parole dure et froide, que vous vous rappelez les commandements que Dieu même vous a faits par la bouche de votre confesseur ? Vous me dites un jour que l’Église vous ordonnait expressément de révéler à votre premier ministre tout ce que vous entendriez contre lui, et je n’ai jamais rien su par vous de ma mort prochaine. Il a fallu que des amis plus fidèles vinssent m’apprendre la conjuration ; que les coupables eux-mêmes, par un coup de la Providence, se livrassent à moi pour me faire l’aveu de leurs fautes. Un seul, le plus endurci, le moindre de tous, résiste encore ; et c’est lui qui a tout conduit, c’est lui qui livre la France à l’étranger, qui renverse en un jour l’ouvrage de mes vingt années, soulève les Huguenots du Midi, appelle aux armes tous les ordres de l’État, ressuscite des prétentions écrasées, et rallume enfin la ligue éteinte par votre père ; car c’est elle, ne vous y trompez pas, c’est elle qui relève toutes ses têtes contre vous. Êtes-vous prêt au combat ? où donc est votre massue ?

Le Roi, anéanti, ne répondait pas et cachait toujours sa tête dans ses mains. Le Cardinal, inexorable, croisa les bras et poursuivit :

— Je crains qu’il ne vous vienne à l’esprit que c’est pour moi que je parle. Croyez-vous vraiment que je ne me juge pas, et qu’un tel adversaire m’importe beaucoup ? En vérité, je ne sais à quoi il tient que je vous laisse faire, et mettre cet immense fardeau de l’État dans la main de ce jouvenceau. Vous pensez bien que depuis vingt ans que je connais votre cour je ne suis pas sans