Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/421

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Cinq-Mars s’écriait :

— Ami ! ami ! que je regrette ta mort que j’ai causée ! Je t’ai trahi deux fois, mais tu sauras comment.

Mais de Thou, l’embrassant et le consolant, répondait en levant les yeux en haut :

— Ah ! que nous sommes heureux de finir de la sorte ! Humainement parlant, je pourrais me plaindre de vous, monsieur, mais Dieu sait combien je vous aime ! Qu’avons-nous fait qui nous mérite la grâce du martyre et le bonheur de mourir ensemble ?

Les juges n’étaient pas préparés à cette douceur, et se regardaient avec surprise.

— Ah ! si l’on me donnait seulement une pertuisane, dit une voix enrouée (c’était le vieux Grandchamp, qui s’était glissé dans la chambre, et dont les yeux étaient rouges de fureur), je déferais bien monseigneur de tous ces hommes noirs ! disait-il.

Deux hallebardiers vinrent se mettre auprès de lui en silence ; il se tut, et, pour se consoler, se mit à une fenêtre du côté de la rivière où le soleil ne se montrait pas encore, et il sembla ne plus faire attention à ce qui se passait dans la chambre.

Cependant Laubardemont, craignant que les juges ne vinssent à s’attendrir, dit à haute voix :

— Actuellement, d’après l’ordre de monseigneur le Cardinal, on va mettre ces deux messieurs à la gêne, c’est-à-dire à la question ordinaire et extraordinaire.

Cinq-Mars rentra dans son caractère par indignation, et, croisant les bras, fit, vers Laubardemont et Joseph, deux pas qui les épouvantèrent. Le premier porta involontairement la main à son front.

— Sommes-nous ici à Loudun ? s’écria le prisonnier,

Mais de Thou, s’approchant, lui prit la main et la serra ; il se tut, et reprit d’un ton calme en regardant les juges :