Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/420

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toute la conjuration, par moi seul conçue et ordonnée. Ma volonté est de mourir. Je n’ai donc rien à ajouter pour moi ; mais, si vous voulez être justes, vous laisserez la vie à celui que le roi même a nommé le plus honnête homme de France, et qui ne meurt que pour moi.

— Qu’on l’introduise, dit Laubardemont.

Deux gardes entrèrent chez M. de Thou, et l’amenèrent.

Il entra et salua gravement avec un sourire angélique sur les lèvres, et embrassant Cinq-Mars :

— Voici donc enfin le jour de notre gloire ! dit-il ; nous allons gagner le ciel et le bonheur éternel.

— Nous apprenons, monsieur, dit Laubardemont, nous apprenons par la bouche même de M. de Cinq-Mars que vous avez su la conjuration.

De Thou répondit à l’instant et sans aucun trouble, toujours avec un demi-sourire et les yeux baissés :

— Messieurs, j’ai passé ma vie à étudier les lois humaines, et je sais que le témoignage d’un accusé ne peut condamner l’autre. Je pourrais répéter aussi ce que j’ai déjà dit, que l’on ne m’aurait pas cru si j’avais dénoncé sans preuve le frère du Roi. Vous voyez donc que ma vie et ma mort sont entre vos mains. Pourtant, lorsque j’ai bien envisagé l’une et l’autre, j’ai connu clairement que, de quelque vie que je puisse jamais jouir, elle ne pourrait être que malheureuse après la perte de M. de Cinq-Mars ; j’avoue donc et confesse que j’ai su sa conspiration ; j’ai fait mon possible pour l’en détourner. — Il m’a cru son ami unique et fidèle, et je ne l’ai pas voulu trahir, c’est pourquoi je me condamne par les lois qu’a rapportées mon père lui-même, qui me pardonne, j’espère.

À ces mots, les deux amis se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.