Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/437

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les Parlements, et de saper dans ses fondements l’édifice sur lequel reposait l’État. J’apprends que les Nobles sont mis à la Taille, et condamnés par de petits juges contre les privilèges de leur condition, forcés à l’arrière-ban contre les pratiques anciennes… »

— Ah ! le vieux radoteur ! interrompit le page en riant aux éclats.

— Pas si sot que vous croyez ; seulement il est un peu reculé pour notre affaire…

« Je ne puis qu’approuver ce généreux projet, et je vous prie de me bailler advis de tout… »

— Ah ! le vieux langage du dernier règne ! dit Olivier ; il ne sait pas écrire : me faire expert de toutes choses, comme on dit à présent.

— Laissez-moi lire, pour Dieu ! dit l’abbé ; dans cent ans on se moquera ainsi de nos phrases.

Il poursuivit :

« Je puis bien vous conseiller, nonobstant mon grand âge, en vous racontant ce qui m’advint en 1560. »

— Ah ! ma foi, je n’ai pas le temps de m’ennuyer à lire tout. Voyons la fin…

« Quand je me rappelle mon dîner chez madame la maréchale d’Effiat, votre mère, et que je me demande ce que sont devenus tous les convives, je m’afflige véritablement. Mon pauvre Puy-Laurens est mort à Vincennes, de chagrin d’être oublié par Monsieur dans cette prison ; de Launay tué en duel, et j’en suis marri ; car, malgré que je fus mal satisfait de mon arrestation, il y mit de la courtoisie, et je l’ai toujours tenu pour un galant homme. Pour moi, me voilà sous clef jusqu’à la fin de la vie de M. le Cardinal ; aussi, mon enfant, nous étions treize à table : il ne faut pas se moquer des vieilles croyances. Remerciez Dieu de ce que vous êtes le seul auquel il ne soit pas arrivé malencontre… »