Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/439

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qui n’annonçait rien de bon. On entendit une marche sonnée par des trompettes.

— Restons ici, dit l’un d’eux à sa suite ; c’est ici.

L’air sombre et le silence de ces spectateurs contrastaient singulièrement avec les regards enjoués et curieux des jeunes filles et leurs propos enfantins.

— Ah ! le beau cortége ! criaient-elles : voilà au moins cinq cents hommes avec des cuirasses et des habits rouges, sur de beaux chevaux ; ils ont des plumes jaunes sur leurs grands chapeaux. — Ce sont des étrangers, des Catalans, dit un garde-française. — Qui conduisent-ils donc ? — Ah ! voici un beau carrosse doré ! mais il n’y a personne dedans.

— Ah ! je vois trois hommes à pied : où vont-ils ?

— À la mort ! dit Fontrailles d’une voix sinistre qui fit taire toutes les voix. On n’entendit plus que les pas lents des chevaux, qui s’arrêtèrent tout à coup par un de ces retards qui arrivent dans la marche de tous cortéges. On vit alors un douloureux et singulier spectacle. Un vieillard à la tête tonsurée marchait avec peine en sanglotant, soutenu par deux jeunes gens d’une figure intéressante et charmante, qui se donnaient une main derrière ses épaules voûtées, tandis que de l’autre chacun d’eux tenait l’un de ses bras. Celui qui marchait à sa gauche était vêtu de noir ; il était grave et baissait les yeux. L’autre, beaucoup plus jeune, était revêtu d’une parure éclatante[1] : un pourpoint de drap de Hollande, couvert de larges dentelles d’or et portant des manches bouffantes et brodées, le couvrait du cou à la ceinture, habillement assez semblable au corset des femmes ; le reste de ses vêtements en velours noir brodé de palmes

  1. Le portrait en pied de M. de Cinq-Mars est conservé dans le musée de Versailles.