Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! mon cher Henry, vous me faites trembler, mon enfant ; il vous perdra si vous n’êtes pas son instrument docile. Ah ! que ne puis-je aller avec vous ! Pourquoi faut-il que j’aie montré une tête de vingt ans dans cette malheureuse affaire ?… Hélas ! non, je vous serais dangereux ; au contraire, il faut que je me cache. Mais vous aurez M. de Thou près de vous, mon fils, n’est-ce pas ? dit-il en cherchant à se calmer ; c’est votre ami d’enfance, un peu plus âgé que vous ; écoutez-le, mon enfant ; c’est un sage jeune homme : il a réfléchi, il a des idées à lui.

— Oh ! oui, mon cher abbé, comptez sur mon tendre attachement pour lui ; je n’ai pas cessé de l’aimer…

— Mais vous avez sûrement cessé de lui écrire, n’est-ce pas ? reprit en souriant un peu le bon abbé.

— Je vous demande pardon, mon bon abbé ; je lui ai écrit une fois, et hier pour lui annoncer que le Cardinal m’appelle à la cour.

— Quoi ! lui-même a voulu vous avoir !

Alors Cinq-Mars montra la lettre du Cardinal-duc à sa mère, et peu à peu son ancien gouverneur se calma et s’adoucit.

— Allons, allons, disait-il tout bas, allons, ce n’est pas mal, cela promet : capitaine aux gardes à vingt ans, ce n’est pas mal.

Et il sourit.

Et le jeune homme, transporté de voir ce sourire qui s’accordait enfin avec tous les siens, sauta au cou de l’abbé et l’embrassa comme s’il se fût emparé de tout un avenir de plaisir, de gloire et d’amour.

Cependant, se dégageant avec peine de cette chaude embrassade, le bon abbé reprit sa promenade et ses réflexions. Il toussait souvent et branlait la tête, et Cinq-Mars, sans oser reprendre la conversation, le suivait des