Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/85

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impressions de son voisin, ou cherchât même à les deviner ou à communiquer les siennes. Cependant, lorsque le public fut abandonné à lui-même, il se fit comme une explosion de paroles bruyantes. On distinguait plusieurs voix, dans ce chaos, qui dominaient le bruit général, comme un chant de trompettes domine la basse continue d’un orchestre.

Il y avait encore à cette époque assez de simplicité primitive dans les gens du peuple pour qu’ils fussent persuadés par les mystérieuses fables des agents qui les travaillaient, au point de n’oser porter un jugement d’après l’évidence, et la plupart attendirent avec effroi la rentrée des juges, se disant à demi-voix ces mots prononcés avec un certain air de mystère et d’importance qui sont ordinairement le cachet de la sottise craintive : — On ne sait qu’en penser, monsieur ! — Vraiment, madame, voilà des choses extraordinaires qui se passent ! — Nous vivons dans un temps bien singulier ? — Je me serais bien douté d’une partie de tout ceci ; mais, ma foi, je n’aurais pas prononcé, et je ne le ferais pas encore ! — Qui vivra verra, etc. ; discours idiots de la foule, qui ne servent qu’à montrer qu’elle est au premier qui la saisira fortement. Ceci était la basse continue, mais du côté du groupe noir on entendait d’autres choses : — Nous laisserons-nous faire ainsi ? Quoi ! pousser l’audace jusqu’à brûler notre lettre au Roi ! Si le Roi le savait ! — Les barbares ! les imposteurs ! avec quelle adresse leur complot est formé ! le meurtre s’accomplira-t-il sous nos yeux ? aurons-nous peur de ces archers ? — Non, non, non. C’étaient les trompettes et le dessus de ce bruyant orchestre.

On remarquait le jeune avocat, qui, monté sur un banc, commença par déchirer en mille pièces un cahier de papier ; ensuite élevant la voix : — Oui, s’écria-t-il, je déchire et jette au vent le plaidoyer que j’avais préparé