Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/86

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en faveur de l’accusé ; on a supprimé les débats : il ne m’est pas permis de parler pour lui ; je ne peux parler qu’à vous, peuple, et je m’en applaudis ; vous avez vu ces juges infâmes : lequel peut encore entendre la vérité ? lequel est digne d’écouter l’homme de bien ? lequel osera soutenir son regard ? Que dis-je ? ils la connaissent tout entière, la vérité, ils la portent dans leur sein coupable ; elle ronge leur cœur comme un serpent ; ils tremblent dans leur repaire, où ils dévorent sans doute leur victime ; ils tremblent parce qu’ils ont entendu les cris de trois femmes abusées. Ah ! qu’allais-je faire ? j’allais parler pour Urbain Grandier ! Quelle éloquence eût égalé celle de ces infortunées ? quelles paroles vous eussent fait mieux voir son innocence ? Le ciel s’est armé pour lui en les appelant au repentir et au dévouement, le ciel achèvera son ouvrage.

Vade retro, Satanas ! prononcèrent des voix entendues par une fenêtre assez élevée.

Fournier s’interrompit un moment :

— Entendez-vous, reprit-il, ces voix qui parodient le langage divin ? Je suis bien trompé, ou ces instruments d’un pouvoir infernal préparent par ce chant quelque nouveau maléfice.

— Mais, s’écrièrent tous ceux qui l’entouraient, guidez-nous : que ferons-nous ? qu’ont-ils fait de lui ?

— Restez ici, soyez immobiles, soyez silencieux, répondit le jeune avocat : l’inertie d’un peuple est toute-puissante, c’est là sa sagesse, c’est là sa force. Regardez en silence, et vous ferez trembler.

— Ils n’oseront sans doute pas reparaître, dit le comte du Lude.

— Je voudrais bien revoir ce grand coquin rouge, dit Grand-Ferré, qui n’avait rien perdu de tout ce qu’il avait vu.

— Et ce bon monsieur le curé, murmura le vieux père