Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/93

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— N’achève pas ! s’écria le capucin, affectant de lui fermer la bouche avant qu’il prononçât le nom du Sauveur ; misérable endurci, retourne au démon qui t’a envoyé !

Il fit signe à quatre prêtres, qui, s’approchant avec des goupillons à la main, exorcisèrent l’air que le magicien respirait, la terre qu’il touchait et le bois qui devait le brûler. Pendant cette cérémonie, le lieutenant criminel lut à la hâte l’arrêt, que l’on trouve encore dans les pièces de ce procès, en date du 18 août 1639, déclarant Urbain Grandier dûment atteint et convaincu du crime de magie, maléfice, possession, ès personnes d’aucunes religieuses ursulines de Loudun, et autres, séculiers, etc.

Le lecteur, ébloui par un éclair, s’arrêta un instant, et, se tournant du côté de M. de Laubardemont, lui demanda si, vu le temps qu’il faisait, l’exécution ne pouvait pas être remise au lendemain, celui-ci répondit :

— L’arrêt porte exécution dans les vingt-quatre heures : ne craignez point ce peuple incrédule, il va être convaincu…

Tous les personnages les plus considérables et beaucoup d’étrangers étaient sous le péristyle et s’avancèrent, Cinq-Mars parmi eux.

— Le magicien n’a jamais pu prononcer le nom du Sauveur et repousse son image.

Lactance sortit en ce moment du milieu des pénitents, ayant dans sa main un énorme crucifix de fer qu’il semblait tenir avec précaution et respect ; il l’approcha des lèvres du patient, qui effectivement se jeta en arrière, et, réunissant toutes ses forces, fit un geste du bras qui fit tomber la croix des mains du capucin.

— Vous le voyez, s’écria celui-ci, il a renversé le crucifix !

Un murmure s’éleva dont le sens était incertain.