Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Profanation ! s’écrièrent les prêtres.

On s’avança vers le bûcher.

Cependant Cinq-Mars, se glissant derrière un pilier, avait tout observé d’un œil avide ; il vit avec étonnement que le crucifix, en tombant sur les degrés, plus exposés à la pluie que la plate-forme, avait fumé et produit bruit du plomb fondu jeté dans l’eau. Pendant que l’attention publique se portait ailleurs, il s’avança et y porta une main qu’il sentit vivement brûlée. Saisi d’indignation et de toute la fureur d’un cœur loyal, il prend le crucifix avec les plis de son manteau, s’avance vers Laubardemont, et le frappant au front :

— Scélérat, s’écrie-t-il, porte la marque de ce fer rougi !

La foule entend ce mot et se précipite.

— Arrêtez cet insensé ! dit en vain l’indigne magistrat.

Il était saisi lui-même par des mains d’homme qui criaient : — Justice ! au nom du Roi !

— Nous sommes perdus ! dit Lactance, au bûcher ! au bûcher !

Les pénitents traînent Urbain vers la place, tandis que les juges et les archers rentrent dans l’église et se débattent contre les citoyens furieux ; le bourreau, sans avoir le temps d’attacher la victime, se hâta de la coucher sur le bois et d’y mettre la flamme. Mais la pluie tombait par torrents, et chaque poutre à peine enflammée, s’éteignait en fumant. En vain Lactance et les autres chanoines eux-mêmes excitaient le foyer, rien ne pouvait vaincre l’eau qui tombait du ciel.

Cependant le tumulte qui avait lieu au péristyle de l’église s’était étendu tout autour de la place. Le cri de justice se répétait et circulait avec le récit de ce qui s’était découvert ; deux barricades avaient été forcées, et, malgré trois coups de fusil, les archers étaient repoussés