Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/29

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n’étaient pas communes alors : il fallait les faire venir de bien loin et à grands frais ; les médicaments se vendaient fort cher, les épices et les parfums de l’Orient exigeaient des marchands une mise de fonds considérable. Aussi la maison de la rue Saint-Denys supporta, en 1571[1], une taxe extraordinaire de 160 livres qui nous montre toute l’importance de son commerce. Les marchands voisins, rue Saint-Denys et aux environs, épiciers, bonnetiers, chapeliers, payèrent de 10 à 15 livres ; les marchands de soie, de 20 à 50 livres ; le célèbre potier Bernard Palissy, rue Saint-Honoré, 5 livres ; un apothicaire de la rue Sans-Chef, 12 livres ; un médecin, 20 livres ; des procureurs et des notaires, de 15 à 20 livres ; des conseillers au parlement 80 livres. Il faut arriver aux taxes les plus élevées pour atteindre ou dépasser les 160 livres du trisaïeul de notre auteur. Il y avait peut-être aussi surtaxe par malice et sans cause : ce dont Jehan de la Bruyère garda bonne mémoire. Toutefois il possédait trois domaines en Vendômois : Romeau, la Georgetière et les petites Noues sur les paroisses de Choue et de Souday, près de Mondoublean. Enfin il avait une terre et seigneurie située à Plailly dans le bailliage de Senlis, qu’on appelait le Fief royal. Avec une telle fortune, il put acheter à son fils Mathias de la Bruyère, avocat du roi en la cour des aides, un office de lieutenant particulier de la prévôté de Paris. Il lui fit faire un assez brillant mariage avec la fille de François Aubert, seigneur d’Aventon, et maire de Poitiers. La jeune femme apportait en dot 14,000 livres, et le jeune homme 12,000 livres avec la terre du bailliage de Senlis. Jehan de la Bruyère était content de donner à son fils le Fief royal. C’étaient donc de gros personnages que MM. de la Bruyère père et fils. En 1576, ils furent de ceux qui fondèrent la sainte Union à Paris, en haine des protestants, et pour empêcher les Bourbons de parvenir au trône. Le père se jeta à corps perdu au milieu des agitations populaires ; il fut membre du conseil des Seize et surnommé[2] par les royalistes, en souvenir de sa profession, le sire Safranier de la Ligue. Le fils devint lieutenant civil après la journée des Barricades, et fut en 1589 l’un des 24 élus de la bourgeoisie de Paris, qui prirent place dans l’assemblée générale de

  1. Notice biographique sur la Bruyère, par G. Servois, p. xxiii et p. xxiv et en note, Bibliothèque nationale, mss. fr. no 11692. Compte du don de 300 000 livres tournois à Charles IX, par la ville de Paris.
  2. Le Maheustre, dialogue entre le Maheustre et le Manant dans la satire Ménippée.