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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/28

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lettre à Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui est exposée à la Bibliothèque nationale. Il avait ses raisons pour agir ainsi : « Je le déclare formellement, dit-il[1], afin que l’on s’y prépare et que personne n’en soit surpris, si jamais un grand me trouve digne de ses soins, si je fais une belle fortune, il y a un Geoffroy de la Bruyère que toutes les chroniques rangent au nombre des plus grands seigneurs de France qui suivirent Godefroy de Bouillon à la conquête de la Terre-Sainte : voilà de qui je descends en ligne directe. » On a voulu prendre cette plaisanterie au sérieux. Les uns, par haine pour le moraliste, ont vu là une simple gasconnade, ou la vanité ridicule d’un gentilhomme à louer, qui met enseigne sur sa noblesse pour faire payer ses services par le prince de Condé et qui bat monnaie avec la gloire de ses ancêtres. Le chartreux Bonaventure d’Argonne[2] est l’auteur de cette brillante hypothèse. D’autres, par respect pour le grand écrivain, ont cherché dans toutes les chroniques ce fameux Geoffroy de la Bruyère, l’un des plus grands seigneurs de France, qui prit part à la première croisade et à la prise de Jérusalem sous la conduite de Godefroy de Bouillon. Mais le plus ancien Geoffroy de la Bruyère qu’ils aient pu trouver[3] mourut en 1191, au siège de Saint-Jean d’Acre, près d’un siècle après Godefroy de Bouillon. Il est difficile d’admettre que notre auteur pensât sérieusement à se faire un ancêtre d’un croisé fabuleux : l’origine de sa famille n’était que trop connue au dix-septième siècle. Le nom des la Bruyère revient à chaque instant dans les mémoires de la Ligue. La maison de Condé ne faisait pas grand cas de cette noblesse révolutionnaire. Le premier ancêtre des la Bruyère était-il apothicaire, parfumeur ou droguiste ? C’est le seul point sur lequel de Thon[4], qui n’hésite pas à lui prêter un très vilain caractère, n’ait pas voulu se prononcer. Qu’importe ;  ? « Il y a peu de familles dans le monde[5], répondait notre auteur, qui ne touchent aux plus grands princes par une extrémité, et par l’autre au simple peuple. »

Apothicaire, parfumeur et droguiste, rue Saint-Denys devant le grand Châtelet, Jehan de la Bruière (sic) était, au seizième siècle, un riche bourgeois qui faisait bien ses affaires. Les denrées coloniales

  1. Chap. xiv, n° 14.
  2. Vigneul de Marville, Mélanges d’histoire et de littérature, t. III, p. 382.
  3. Recueil des historiens des Gaules, t. XVIII, p. 512.
  4. Historiæ Thuani, éd. 1733, t. III, p. 493, t. V, p. 405.
  5. Chap. xiv, n° 12.