Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/36

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rément la charité des oratoriens ne fit point ce miracle dans l’âme de la Bruyère. La manière dont il s’est conduit pendant le reste de sa vie prouve qu’il n’était guère capable de s’élever à une si haute perfection. On pouvait captiver son affection, mais il fut toujours difficile d’anéantir sa volonté propre.

Il était dans sa vingtième année lorsque, le 3 juin 1665, il présenta à messieurs les docteurs de l’université d’Orléans[1] ses thèses imprimées de Tutelis et Donationibus pour les soutenir dans les écoles de droit et avoir son degré de licencié es deux droits[2]. Charles Perrault a gaiement raconté dans ses mémoires le voyage qu’il fit à Orléans pour prendre sa licence ; la Bruyère n’était pas si gai dans cette circonstance. Il était même fort troublé quand il écrivit sa requête sur le registre des suppliques de l’université d’Orléans. On le voit bien à son écriture et aux inexactitudes de la rédaction. Quelques heures après, quand il eut passé son examen et pris ses licences par acte public, il était plus maître de lui-même ; toutefois on remarque encore une distraction sur le registre où il consigna son succès. Peu importe ; il avait ses degrés : la carrière du barreau s’ouvrait devant lui ; il peut devenir avocat au parlement de Paris.

Mais pourquoi donc la Bruyère était-il si fort troublé en présentant ses thèses devant messieurs les docteurs de l’université d’Orléans ? D’abord l’université d’Orléans, avec celle de Poitiers[3], pouvait seule à cette époque enseigner le droit civil ; ensuite la Bruyère avait peut-être, en apprenant le droit, suivi une autre méthode que celle qu’il croyait suivie à Orléans ; enfin les écoles de droit étaient alors mal tenues et mal organisées. Des années entières[4] se passaient à expliquer un ou deux titres du Digeste ; en sorte qu’il eût fallu un siècle pour expliquer tous les titres des cinquante livres, et d’autres siècles pour le Code et pour les Novelles. Tout cela n’était encore que le droit romain, où il fallait ajouter la connaissance « de nos coutumes, de nos ordonnances et de notre procédure »[5]. C’est pourquoi, faute d’entendre les textes, on s’en rapportait aux sommaires et aux gloses de ceux qui passaient pour les mieux entendre, et toute la jurispru-

  1. Archives départementales du Loiret.
  2. Album des œuvres de la Bruyère, par Servois. Fac-similé de l’écriture de la Bruyère.
  3. Histoire de l’École de droit d’Orléans, par E. Bimbenet, greffier à la cour d’Orléans.
  4. Choix et méthode des études, c. xv, par Cl. Fleury.
  5. Ibid., c. XI.