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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/39

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gne sordidement, on se l’ôte à soi-même. Le milieu est justice pour soi et pour les autres. »

« Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d’héritiers[1]. »

« Triste condition de l’homme et qui dégoûte de la vie ! Il faut suer, veiller, fléchir, dépendre, pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l’agonie de nos proches[2]. Celui qui s’empêche de souhaiter que son père y passe bientôt, est homme de bien. »

Le père de notre auteur, Louis de la Bruyère, mourut à Paris, le 7 septembre 1666, rue du Grenier-Saint-Lazare[3]. Il fut inhumé deux jours après, « en l’église, où un service complet fut chanté à son intention, le corps présent, avec l’assistance de M. le curé et de quarante prêtres ». On voit encore aujourd’hui son épitaphe dans la chapelle Saint-Vincent de Paul de l’église Saint-Nicolas des Champs ; mais elle est un peu cachée sous un confessionnal. La mort de Louis de la Bruyère fut un coup terrible pour sa famille. Le défunt laissa ses affaires dans un tel état[4], que ses enfants furent obligés de renoncer à sa succession. Il ne pouvait rien donner à sa veuve : la coutume de Paris s’y opposait ; et cependant il avait peut-être compromis l’avoir de sa femme pendant sa vie. Qu’allaient devenir Mme de la Bruyère et ses enfants ? « Il y a, dit notre auteur[5], des maux effroyables et d’horribles malheurs où l’on n’ose penser et dont la seule vue fait frémir : s’il arrive que l’on y tombe, l’on se trouve des ressources que l’on ne se connaissait point ; l’on se raidit contre son infortune, et l’on fait mieux qu’on ne l’espérait. »

Jean de la Bruyère, oncle et parrain de notre auteur, n’abandonna point sa famille dans le malheur. Depuis quelque temps, il demeurait avec son frère rue Grenier-Saint-Lazare. Il accepta la succession de son frère et prit en main les affaires de sa veuve et de ses enfants : il devint seul chef de la famille.

C’était un singulier personnage que l’oncle Jean, comme l’appelaient ses neveux. Il était, comme son père Guillaume de la Bruyère, secrétaire du roi ; mais, bien différent de son père, il aimait à faire des

  1. Chap. vi, n° 67.
  2. Chap. vi, n° 68.
  3. Cf. Servois, Album. Archives de l’état civil de Paris aujourd’hui détruites.
  4. Servois. Notice biographique, p. XXXIII.
  5. Chap. xi, n° 30.