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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/40

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contrats et il voyait l’argent grossir dans ses coffres. Il avait aussi l’esprit de famille et, après avoir fait assez vite fortune, il avait racheté des créanciers de son père et de sa mère une partie de leurs titres, sinon tous : il retira même un assez joli denier de la succession de son frère. — M. Servois, qui a trouvé dans les archives d’un notaire de Paris quelques actes relatifs à la famille de la Bruyère, nous explique ainsi le procédé de l’oncle Jean pour s’enrichir[1] : « Le prêt à intérêt étant interdit aussi bien par la loi civile que par la loi religieuse, la seule manière licite de tirer profit d’un prêt fait à un particulier était de lui constituer une rente perpétuelle, c’est-à-dire de lui remettre un capital qu’il restait maître de garder aussi longtemps que bon lui semblerait, à la seule condition d’en payer annuellement la rente. Les particuliers étaient, en général, de plus sûrs débiteurs que l’État et que la ville, dont les rentes étaient parfois soumises à des réductions arbitraires, ou encore que les hôpitaux, exposés à la banqueroute. Aussi l’oncle Jean avait-il préféré à toutes autres les créances par contrats. Ses emprunteurs étaient quelquefois des membres de sa famille ou de la famille de sa belle-sœur, plus souvent des étrangers nobles ou bourgeois. Il ne prêtait pas toujours à visage découvert, et se dissimulait quelquefois derrière son frère, ou, quand il l’eut perdu, derrière l’un de ses neveux. De temps à autre il lui fallait user contre ses débiteurs de voies de rigueur, ou accepter des accommodements. C’est ainsi qu’il fut amené à se rendre propriétaire d’une maison de campagne qui était située dans le village de Saulx, près Lonjumeau, et qui fera partie de sa succession. » M. Servois estime que la fortune mobilière de l’oncle Jean pouvait bien s’élever à plus de 100,000 livres. Comme tous les bourgeois aisés de ce temps-là, il avait renoncé au service d’étain sur sa table, et à la mule de ses ancêtres. M. Servois ne doute pas que les neveux de l’oncle Jean fissent usage de son argenterie et montassent dans son carrosse. Cela dut[2] un peu adoucir leur chagrin. « Dans une grande affliction[3], l’on pleure amèrement et l’on est sensiblement touché : mais l’on est ensuite si faible et si léger que l’on se console. »

Notre auteur, reçu avocat au parlement, s’occupa d’être un homme

  1. Notice biographique, p. XXX-XXXI.
  2. Chap. XI, n° 31.
  3. Chap. iv, n° 35.