Aller au contenu

Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miers modèles du nouveau genre ainsi décrit par la Bruyère. « Un beau sermon[1] est un discours oratoire qui est, dans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux préceptes de l’éloquence humaine et paré de tous les ornements de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n’en perdent pas le moindre trait, ni une seule pensée ; ils suivent sans peine l’orateur dans toutes les énumérations où il se promène, comme dans toutes les élévations où il se jette. Ce n’est une énigme que pour le peuple. » Dans ce genre, depuis Lingendes jusqu’à Bourdaloue, les jésuites eurent souvent l’avantage sur les oratoriens. À l’Oratoire même, ce nouveau genre avait la vogue au moment où la Bruyère en sortait.

« Il y a, dit Bossuet dans l’oraison funèbre du R. P. Bourgoing (décembre 1662), des prédicateurs infidèles qui ravilissent leur dignité jusqu’à faire servir au désir de plaire le ministère chrétien ; qui ne rougissent pas d’acheter des acclamations et des flatteries par la parole de vérité ; des louanges, vains aliments d’un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée à ses enfants ! Quelle indignité ! Est-ce ainsi qu’on fait parler Jésus-Christ ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole ? Faibles discoureurs dont les sermons sont le fruit d’une étude lente et tardive, détruirez-vous les remparts des mauvaises habitudes en jetant des fleurs ? L’éloquence ne doit jamais être recherchée avec soin ; si elle vient, ce ne doit être que comme la servante de la vérité et attirée par les choses mêmes. » Le discours chrétien se répand à la manière d’un torrent, et s’il trouve en chemin les fleurs de l’élocution, il les entraîne plutôt après lui par sa propre impétuosité qu’il ne les cueille avec choix pour se parer d’un tel ornement. C’est l’idée de l’éloquence que donne saint Augustin aux prédicateurs, c’est celle dont Bossuet offrait alors à ses auditeurs étonnés le plus parfait modèle, c’est celle qu’avait recommandée M. de Bérulle à ses disciples. Le P. Bourgoing s’était efforcé de la mettre en pratique[2] ; il n’avait point cette richesse d’imagination qui voit naître sous ses pas les fleurs de l’élocution, ni cette impétuosité de génie qui les entraîne dans sa course sans s’amuser à les cueillir[3] : son style terne et triste, nourri des saintes Écri-

  1. Chap. xv, n° 10.
  2. Bibliothèque oratorienne. Vies de Cloysault. 2e vie, celle du P. Bourgoing.
  3. Excellences et vérités de la doctrine chrétienne, par le P. Bourgoing.