Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/63

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pas à Molière, ni Cordernoi non plus. Molière exploita la veine comique du cartésianisme dans plusieurs de ses comédies ; ses leçons étaient bonnes et la Bruyère en profita[1]. « Quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des mœurs ! quelles images et quel fléau du ridicule ! » La Bruyère consolait son amour-propre en blâmant les barbarismes du Mamamouchi ; mais il sut toujours gré au poète comique de l’avoir arrêté sur la pente fatale où il se laissait entraîner.

Parmi les cartésiens, il y avait alors un homme de talent avec lequel la Bruyère fut lié de bonne heure, Claude Fleury. Ils avaient presque le même âge, avec une rare conformité de goût sur les mœurs, et d’idées sur les sciences. Ils avaient chacun perdu leur père à peu près en même temps, et s’étaient trouvés libres dans le même moment. Après avoir étudié le droit et la philosophie, ils comprirent presque ensemble le vide des sciences qui flattent notre orgueil et ne nous rendent pas meilleurs. Le 15 janvier 1688[2], Claude Fleury fit une lecture publique chez M. de Lamoignon, à l’une de ses académies du mercredi. C’était un discours sur Platon, qui fut très approuvé[3]. Fleury louait dans Platon, non seulement les qualités qu’on avait coutume de lui accorder, l’imagination, l’invention, le tour délicat, l’élévation, la grandeur du génie ; mais encore les qualités qu’on avait l’habitude de lui refuser, la solidité, le jugement et le bon sens. Il lui enviait le bonheur d’être venu dans le plus beau temps de la Grèce[4], dans la ville du monde qui était alors la plus polie, surtout l’avantage d’avoir eu pour maître Socrate, le plus grand homme que l’on connût en dehors de la véritable religion. Sans doute Platon avait appris tout ce que l’on pouvait apprendre à Athènes, en Égypte et en Italie ; mais ce qui l’avait le plus instruit, c’étaient les conversations de Socrate et l’usage du monde, l’observation continuelle des mœurs, des passions, des inclinations des hommes. « J’estime, continue Fleury, que l’on peut puiser dans Platon une infinité d’excellentes maximes pour faire le discernement des sciences, pour voir les connaissances qui sont nécessaires et celles qui sont dignes d’un honnête homme. Platon peut aussi être fort utile pour désabuser des erreurs

  1. Chap. i, n° 38.
  2. Journal de Lefèvre d’Ormesson.
  3. Discours sur Platon, dans les œuvres de Fleury.
  4. Discours de la Bruyère sur Théophraste.