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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/64

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vulgaires et des préjugés de l’enfance, pour ramener au bon sens et à la conduite solide, et inspirer des sentiments nobles. Il est plein de cette politique[1] qui tend, non pas à rendre puissants ceux qui gouvernent, mais à rendre heureux les peuples et les particuliers ; et de cette jurisprudence[2] qui ne cherche pas tant à juger les différends qu’à les prévenir, et qui s’attache[3] moins à préserver les intérêts des citoyens qu’à favoriser les bonnes mœurs et la vertu. » Voilà précisément ce que cherchait la Bruyère. La pureté de la doctrine platonicienne, admirée par saint Augustin[4], avait été obscurcie et corrompue, s’il faut en croire Varron[5], par la théologie mythique des poètes, par la théologie physique des savants, et par la théologie politique des hommes d’État. « Et depuis Varron, que d’inventions nouvelles ont encore épaissi ces ténèbres ! Que de choses depuis Varron[6], que Varron a ignorées ! Ne nous suffirait-il pas, dit la Bruyère, de n’être savant que comme Platon ou comme Socrate ? » La Bruyère s’attacha tellement aux livres de Platon, qu’il les lisait et les relisait sans cesse. Il déclara lui-même, vers la fin de sa vie[7], que, toutes les fois qu’on allait le voir dans son cabinet, on avait beaucoup de chance de le trouver sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l’âme et de sa distinction d’avec le corps.

Bossuet exerçait une grande influence sur les cartésiens[8] : il les réunissait chez lui à des jours déterminés, et il favorisait ouvertement leur opinion, mais sans trop s’écarter des doctrines généralement acceptées dans l’école. Il était pour quelques-uns d’entre eux un Platon ou un Socrate, c’est-à-dire un maître en philosophie aussi bien et même mieux que Descartes[9]. Comme Descartes, il pensait que pour trouver la vérité l’homme n’a besoin que de s’étudier lui-même, sans s’égarer dans les recherches inutiles et puériles de ce que les autres ont dit et pensé ; mais il savait mieux que Descartes interroger les anciens et s’approprier ce que leurs conceptions ont d’irréprochable.

  1. Chap. x, n° 24.
  2. Chap. xii, n° 11.
  3. Chap. x, n °21.
  4. De rera religione, n° 7.
  5. Étude sur Varron, par G. Boissier, c. vii.
  6. Chap. xii, n° 11.
  7. Chap. vi, n° 12.
  8. Mémoires de Huet, livre V.
  9. Nourrisson, Essai sur la philosophie de Bossuet, p. 12, 13, 14.