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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/65

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Comme Descartes, il déclarait que c’était une partie du bien juger, que de douter quand il faut ; mais mieux que Descartes il savait réduire le doute méthodique dans de justes bornes, et ne confondait jamais l’analyse psychologique avec l’analyse des géomètres. Il distinguait dans l’homme deux facultés principales, l’entendement pour saisir la vérité, et la volonté pour embrasser la vertu : et il ramenait toute la philosophie à la connaissance de Dieu et de soi-même, où la théorie et la pratique reçoivent une égale satisfaction. Le cartésianisme ainsi compris, purifié sinon de ses erreurs, au moins de ses témérités, conduisait les hommes vers le christianisme, qui était pour lui le centre de toute sagesse humaine. Cordemoi était chrétien ; mais il avait soutenu[1] divers paradoxes cartésiens qui inspiraient des inquiétudes à ses amis et devaient mettre sa foi en péril. À l’école de Bossuet, il dut abandonner Descartes sur plusieurs points importants : par exemple, sur le monde indéfini, sur l’impossibilité du vide, sur la divisibilité de la matière à l’infini et sur l’essence de la matière, qu’il ne mit plus dans l’étendue. Fleury fit mieux encore[2] : nommé secrétaire des conférences spirituelles qui s’établirent aux Incurables vers les premiers mois de 1669, il se prépara par de profondes études religieuses à la vie sacerdotale. Enfin à la Pentecôte, Bossuet ayant été chargé par René Almeras, successeur de Vincent de Paul, de prêcher les exercices des ordinands à Saint-Lazare, Fleury accourut plein de confiance et de joie, et il fut initié au sacerdoce par le grand orateur qu’il regarda toujours comme son maître. À cette même école, la même « philosophie dépendante de la religion » fit voir à la Bruyère le but de ses études et la règle de sa conduite.

« Deux maladies dangereuses, dit Bossuet[3], ont affligé de nos jours le corps de l’Église. Il a pris à quelques docteurs une malheureuse et inhumaine complaisance, une pitié meurtrière qui leur a fait porter des coussins sous les coudes des pécheurs, chercher des couvertures à leurs passions pour condescendre à leur vanité et flatter leur ignorance affectée. Quelques autres, non moins extrêmes, ont tenu les consciences captivées sous des rigueurs injustes : ils ne peuvent, supporter aucune faiblesse, ils traînent toujours l’enfer après eux et ne fulminent que des anathèmes. L’ennemi de notre salut se

  1. Lettre de Fleury à M. de Gaumomt.
  2. Vie de Bossuet, par A. Floquet, t. III, p. 303-308.
  3. Oraison funèbre de Nicolas Cornet.