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Page:Allaire - La Bruyère dans la maison de Condé, t. 1, 1886.djvu/72

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domestique qui vole l’argent que son maître lui envoie porter ? On aurait tort : y a-t-il de l’infamie à ne pas faire une libéralité, et à conserver pour soi ce qui est à soi ? Étrange embarras, horrible poids que le fidéicommis ! Si par la révérence des lois on se l’approprie, il ne faut plus passer pour homme de bien ; si par le respect d’un ami mort, l’on suit ses intentions en le rendant à sa veuve, on est confidentiaire, on blesse la loi. — Elle cadre donc bien mal avec l’opinion des hommes ? — Cela peut être, et il ne convient pas de dire ici : « la loi pèche », ni « les hommes se trompent. » — Après la mort de l’oncle Jean, il convenait à son filleul, à l’aîné de ses neveux, de prendre ainsi la défense de leur mère contre l’injustice dont elle était victime.

Il fallut pourtant obéir aux volontés du défunt. Dans son testament il avait exprimé le vœu d’être inhumé auprès de son frère ; leur commune épitaphe fut placée sur une dalle de marbre, qui coûta 24 livres à la famille. L’inscription manque d’exactitude, car elle fait mourir le frère aîné en 1657, au lieu de 1566 ; ce qui prouve le peu de soin qu’on y apporta. Les légataires universels firent graver l’épitaphe cinq mois après le décès de l’oncle Jean. Louis Ier de la Bruyère, contrôleur général des rentes de l’hôtel de ville, y prend le titre de conseiller du roi : ce titre conférait la noblesse, et Jean II de la Bruyère, secrétaire du roi, étale sa noblesse dans les armoiries de sa famille qui sont gravées en tête de la pierre tumulaire[1]. Avec un peu de complaisance, on a refait l’écusson de la dalle de Saint-Nicolas des Champs, et défini ainsi le blason du père et de l’oncle de notre auteur : « D’azur, à deux bâtons écotés mis en chevron d’argent, accompagnés de deux étoiles d’or en chef, et d’un croissant d’hermines en pointe, soutenant une touffe de bruyères. » Naturellement on n’a pas omis le casque au-dessus de l’écu : il est de front et semble avoir plusieurs grilles, ce qui indiquerait une haute naissance[2], si on avait observé les règles arbitraires du blason. Mais il n’y a point de couronne, ni ouverte, ni fermée, ni de marquis, ni de comte. La visière est abattue, ce qui marque de nouveaux anoblis. Quelques bourgeois faisaient passer dans leurs armoiries les enseignes de leurs anciennes boutiques[3]. On comprend sans peine que l’on n’ait point emprunté

  1. Servois, Album des œuvres de la Bruyère.
  2. Chap. xiv, no 5.
  3. Menagiana, t. III, p. 350.