Page:Allais - À l’œil.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dès les premiers mots, je suis plongé dans une profonde stupeur. Impossible d’imaginer plus de naïveté, de candeur et même d’ignorance. Il ne sait rien de ce qui touche l’art et les artistes.

Comme je lui demande quelques renseignements sur sa manière de procéder, il ouvre de grands yeux et, dans l’impossibilité de formuler quoi que ce soit, il me dit :

— Regardez-moi faire.

Ayant bien essuyé ses grosses lunettes, il s’assied devant une toile commencée, et se met à peindre.

Peindre ! je me demande si on peut appeler ça peindre.

Il s’agit de représenter un collier de perles enroulé autour d’un hareng saur. Sans m’étonner du sujet, je contemple attentivement le bonhomme.

Armé de petits pinceaux très fins, avec une incroyable sûreté d’œil et de patte et une rapidité de travail vertigineuse, il procède par petites taches microscopiques qu’il juxtapose sans jamais revenir sur une touche précédente.

Jamais, jamais il n’interrompt son ouvrage de patience pour se reculer et juger de l’effet. Sans s’arrêter, il travaille comme un forçat méticuleux.