Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/31

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Car c’est Eloa qu’elle s’appellerait.



La morphine accomplirait son œuvre
néfaste.
Les joues d’Eloa deviendraient blanches, bouffies,
si bouffies
qu’on ne lui verrait plus les yeux,
et piquetées de petites tannes.
Elle ne mangerait plus.
Des heures entières, elle demeurerait sur son canapé,
comme une grande bête lasse.
Et des relents fétides se mêleraient aux buées de son haleine.



Un jour que le pharmacien d’Eloa serait saoûl,
il se tromperait,
et, au lieu de morphine,
livrerait je ne sais quel redoutable alcaloïde.
Eloa tomberait malade,
comme un cheval.
Ses extrémités deviendraient froides
comme celles d’un serpent,
et toutes les angoisses de la constriction.
se donneraient rendez-vous dans sa gorge.




L’agonie commencerait.
Ma main dans la main d’Eloa,
Eloa me ferait jurer,
qu’elle morte,
je me tuerais.
Nos deux corps, enfermés dans la même bière,
se décomposeraient en de communes purulences.
Le jus confondu de nos chairs putréfiées passerait dans la même sève,
produirait le même bois des mêmes arbustes,
s’étalerait, viride, en les mêmes feuilles,
s’épanouirait, radieux, vers les mêmes fleurs.



Et, dans le cimetière,
au printemps,
quand une jeune femme dirait : Quelle bonne odeur !
cette odeur-là, ce serait, confondues, nos deux âmes sublimées.



Voilà les dernières volontés d’Eloa.
Je lui promettrais tout ce qu’elle voudrait, et même d’autres choses.



Eloa mourrait.



Je ferais à Eloa des obsèques convenables, et,
le lendemain,
je prendrais une autre maîtresse
plus drôle.