Page:Allais - En ribouldinguant.djvu/53

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— comme je l’ai dit plus haut — et qu’il coupait dans les racontars de sa gentille compagne.

— Combien, disait-elle, crois-tu que j’aie payé cette douzaine de chemises ?

— Dame, répondait notre imbécile en se grattant la tête, je ne sais pas trop, moi.

— Pas tant que ça, mon chéri ! Ça n’est pas croyable… Quarante-huit sous. Tu ne diras pas que je te ruine, hein ?

— Quarante-huit sous ? s’ahurissait-il !

— Oui, mon ami, quarante-huit sous ! C’est un laissé pour compte.

À dire le vrai, la petite femme exagérait encore, avec ses quarante-huit sous. Les chemises en question ne lui avaient pas coûté quarante-huit sous, ni même quarante sous, ni même vingt sous, ni même dix sous.

Pas même deux sous, pas même un sou !

Elles lui avaient coûté… mettons, un sourire (à cause des jeunes filles qui nous écoutent).

Malgré la souvente répétition de ces sourires en ville, le dénûment du ménage augmentait dans de cruelles proportions.

Or, un jour que le dîner avait été plus maigre que d’habitude (ce qui n’est pas peu dire) la petite femme rentra dans la chambre de son mari, au moment où ce dernier se mettait au lit, et voici la conversation qui s’engagea entre eux :

(Imaginez-vous que la jolie petite dame profère ces mots d’une voix de fée, tandis que son mari rappelle par son timbre le son d’un trombone à coulisse qui aurait séjourné dans la Meuse depuis les déplorables événements de 70.)

— Dis donc, mon chéri… dit-elle en passant ses menottes exquises dans les vilains cheveux de l’homme.

— Ma mignonne ?

— Tu ne sais pas ce que je viens de lire au cabinet, dans un vieux journal[1] ?

  1. Je demande aux lectrices pardon de l’impoétique trivialité de ce détail, mais lorsque, comme moi, on écrit pour la postérité, on s’abolit à tout jamais le droit de broder ou d’arranger les choses. Ne voyez en moi qu’un pâle esclave de la vérité (lividus servus veritatis).