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L’ARROSEUR

Comme nous n’étions pas venus, en somme, à Lisieux pour coucher à la boîte, nous résolûmes, quelques réservistes et moi, de mettre un frein à l’ardeur de ce soyeux en délire, et notre procédé mérite vraiment qu’on le relate ici.

Le colonel, ou plutôt le lieutenant-colonel, car la garnison de Lisieux ne comporte que le 4e bataillon et le dépôt, avait autorisé à coucher en ville tous les réservistes mariés et accompagnés de leur épouse.

Bien que célibataire à cette époque, je déclarai effrontément être consort et j’obtins mon autorisation.

Inutile d’ajouter qu’une foule de garçons dans mon cas agirent comme moi, et si la société des Lits Militaires avait tant soit peu de cœur, elle nous enverrait un joli bronze en signe de gratitude.

Le brave lieutenant-colonel avait ajouté au rapport que les réservistes couchant en ville devaient réintégrer leurs logements aussitôt après la retraite sonnée.

Cette dernière clause, bien entendu, resta pour nous lettre morte.

L’exercice fini, on rentrait chez soi se livrer à des soins de propreté, après quoi on dînait. Et puis on tachait vaguement de tuer la soirée au concert du café Dubois ou à l’Alcazar ( !) de la rue Petite-Couture.

Au commencement, tout alla bien : des officiers nous coudoyaient, nous reconnaissaient et nous laissaient parfaitement tranquilles. Mais voilà-t-il pas qu’un soir le terrible sous-lieutenant Pète-Sec s’avisa de faire un tour au concert.

Ce fut dès lors une autre paire de manches. Nous ayant aperçus dans la salle, il nous invita, sans courtoisie apparente, à rompre immédiatement si nous ne voulions pas attraper quatre jours.

Cette perspective décida de notre attitude : nous rompîmes.