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L’ARROSEUR

Et puisque l’occasion me vient de parler de cette pénible histoire, je ne suis pas fâché de m’en expliquer très nettement et sans ambages (pour faire taire les bruits qui ont couru à mon sujet dans une certaine presse).

Jésus-Christ crut devoir accepter l’invitation de Cana : c’est son affaire et cela ne regarde que lui.

Mais l’attitude qu’il prit à table, les tours de passe-passe qu’il exécuta avec les breuvages, toutes — passez-moi le mot — galipettes auxquels il se livra pendant le repas, sont de la dernière incorrection et tout à fait indignes d’un Divin Sauveur.

Le fils de Dieu perdit là une belle occasion de rester tranquille.

Parlons d’autres choses, si vous voulez bien, parce que je sens que je me ficherais en colère !

… Mon ami William H.-K. Canasson me pilota dans Hotcock-City avec une bonne grâce digne du vieux monde.

— Les trottoirs feutrés ! reprit-il. Vous vous imaginez sans doute, pâle et ridicule Européen, que nous avons feutré nos trottoirs pour en faire comme qui dirait des instars de salons. Biffez cela de vos tablettes, goîtreux Français !… Ce feutre sur lequel vous appuyez mollement la plante de vos pieds recouvre tout un jeu ingénieux et charmant de ressorts. Chaque pas que vous faites, espèce d’imbécile du Vieux-Continent, se traduit par un travail qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd… Tout ce travail des pas humains (ou autres) est totalisé, centralisé, utilisé, sous forme d’électricité (accumulateurs qu’on charge)… Qu’est-ce que vous pensez de cela, imbécile de Parisien ?

— Je n’en pense que du bien, mais je trouve que vos propos ne perdraient rien à se dépouiller de quelques désobligeances nationaliteuses.

— C’est bon ! voulut bien Canasson. Je ne vous croyais pas