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L’ARROSEUR

Au fond dudit galurin, luisaient la marque d’or d’un chapelier de New-York et cinq ou six initiales, surtout des W et des K.

Je n’avais pas perdu au change : le chapeau du Yankee était un extraordinairement beau chapeau et qui m’allait comme un gant.

Une imperceptible boursouflure gonflait le cuir intérieur.

Grace à une légère enquête, je constatai bientôt la présence clandestine, à cet endroit, de dix jolis billets de mille.

Oh ! la chose ne comportait aucun mystère !

Avant de monter chez sa bonne amie, M. Chicago avait prudemment carré une somme de cinq cents louis, destinée sans doute à un autre emploi.

… Et moi, je me trouvais là, stupide, devant ces dix ridicules mille francs.

L’indélicatesse de l’Américain (car, enfin, ce n’est pas chic de se méfier ainsi de sa maîtresse) me suggéra un instant l’idée de m’assimiler froidement cette galette fortuite.

Mon atavique probité reprit le dessus.

— Cet argent n’est pas le mien ! Je le rendrai à son légitime propriétaire.

Toutes mes démarches pour retrouver le méfiant Chicago demeurèrent vaines.

La dame ne voulut me fournir aucune indication.

Une lettre à elle confiée pour être remise au monsieur resta sans réponse.

Je crois que je finirai par appliquer à des besoins personnels cet argent tombé du ciel.

Ça me rappellera une portion importante de ma jeunesse, où je vécus exclusivement des générosités de quelques braves courtisanes, qui m’aimaient bien parce que j’étais rigolo.