Page:Allart - Les Enchantements de Prudence.djvu/71

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seule. Il était paré dans son habit de prélat, très-soigné dans sa personne, d’une beauté charmante et touchée. Il s’assit troublé, me regarda parfois les yeux en pleurs et sans rien dire. Moi, je restai comme lui, silencieuse, dans un grand trouble, moins rassurée et moins ravie qu’en son absence. Il ne dit que peu de mots, sortit sans avoir pu s’exprimer, et deux ou trois jours il revint sans en dire plus. Il choisissait les heures où j’étais seule, où ma petite élève était près de sa mère. Enfin, il s’exprima ! Il me dit que cette passion déciderait de sa vie, qu’il en était pénétré, que jusqu’ici il n’avait pas vécu, qu’il n’avait rien su, rien senti, jamais aimé, jamais connu son cœur, mais qu’aujourd’hui il était enchaîné à jamais. Je l’écoutais sans savoir répondre ; mais il lisait mon amour dans mon trouble, dans mes yeux. Pour l’amener là, j’avais cru qu’il fallait des années, des soins, et il venait se livrer avec simplicité ! Cette déclaration confondait ma raison ; je restais comme enlevée à moi-même. Aucune idée, d’ailleurs, aucune réflexion ne m’était plus possible ; aucune occupation, machinale même, ne se fit avec ordre. Dans le salon, à table, à la promenade, une distraction profonde me séparait du reste de l’univers ; cette vie dominée, ces cahiers où je cherchais de rendre mes idées, où étaient-ils ? D’une vie lente, analysée, ennuyée, je tombais dans un autre extrême ! L’infini, ouvert devant moi, ne me laissait plus rien voir du monde existant ; je cherchais d’être seule et de me cacher ; avec la conscience de cet état singulier, j’évitais de me montrer. Étonnée plus encore de son aveu que de son amour, je n’aurais pu imaginer en lui qu’une passion combattue.