Page:Allart - Les Enchantements de Prudence.djvu/74

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mirable ! Qu’importe qui je suis ? Je n’ai nul droit d’occuper mes semblables de moi. Mais voici une créature humaine, arrachée des abîmes et conduite au ciel ! Quelques femmes y trouveront peut-être leur propre histoire. Il m’aimait ! Et moi, j’avais voulu consacrer ma vie à le rendre sensible ! J’avais pensé que si, dans l’avenir, il mourait le premier, rien ne resterait plus pour moi sur la terre, et que je ne voudrais plus vivre ! Cependant, ce bonheur si grand du côté de la passion et de l’esprit promettait un malheur égal de séparation, de privation. -

Comblée d’un si grand bonheur, je ne voyais le reste que confusément. Mais je n’osais presque parler à Jérôme : la gène existait entre nous. Nous nous imposions tous deux. Son esprit m’intimidait ; l’amour ajoutait à notre embarras ; nous restions ensemble silencieux et troublés. J’avais besoin du temps pour sentir ; tout m’était là nouveau ; Jérôme en savait plus que moi, mais son langage n’était pas le langage vif et empressé des amants ; sa sensibilité profonde avait un langage grave et touchant. Jérôme avait vingt-huit ans, mais, depuis qu’il aimait, il semblait si jeune ! Ses manières, son embarras avaient si bien le caractère de la jeunesse ! Qu’étaient devenues ces pensées par où il m’entraînait avec lui au-dessus du reste des mortels ? Nous semblions deux enfants. Nous tétions troublés à la moindre parole ; je rougissais au moindre regard. Ainsi le ciel et la nature, qui s’étaient vus jugés et expliqués par lui, avaient pris plaisir à nous confondre, et avaient embrasé nos âmes imprudentes de feux redoutables !